Worl(d)s... Cie.
La Mouette Novembre 2015

Spectacle créé le 21 octobre 2015 au Théâtre de la Ville d’Espoo / Théâtre international de Finlande,
en langue finnoise.

Prochaines représentations:

Les 18 - 22 - 30 novembre 2015

les 8 - 9 décembre 2015

à 19 heures

BlueMedia - Studio
Jokisuuntie 5, Helsinki

Informations et réservations:
liput@rednoseclub.fi info@rednoseclub.fi

Critique.

Turun Sanomat / Les Nouvelles de Turku - Finlande, le 23 octobre 2015.
Par Jukka Kittilä

Turun Sanomat

80 kilos d’amour - au moins.

Il faut le rappeller, je n’exagère pas en disant que chaque mise en scène des quatre grandes pièces d’Anton Tchékhov devrait toujours trouver une bonne raison de leur existence qui la rendrait exceptionelle. Car ce quarttet prend énormément de place dans les drames importants du répertoire.

L’interprétation de La Mouette des RedNose Club (un collectif d’acteurs réunis autour d’un travail sur le clown) et de leur metteur en scène français, Philip Boulay, donne la pièce dans son intégralité, y compris les parties coupées par Tchékhov au moment de sa création, en 1896. Même les didascalies de chaque acte sont lues à voix haute.

Poussiéreux? Non. Clair, une plongée aux origines de la pièce jusqu’à son épine dorsale.

Cette Mouette ne cherche pas à nous mettre à l’abri pendant un moment, le temps de la représentation. Nous sommes non seulement face au sens de la vie mais aussi face au sens du théâtre. L’illusion, les faits et les choses éphémères, leur tragique absurdité.

La scène est nue, avec quelques éléments, comme dans l’infortunée pièce de Tréplev du premier acte.

Le mélange subtil et classique des lumières, des sons et des choix musicaux, distillés avec minimalisme, renforce à chaque moment cette question fragile: peut-on, ose t-on regarder la vérité derrière l’illusion, avant qu’elle ne s’en aille?

Les acteurs ont laissé leur nez rouge, mais suivent encore le principe du clown dans leur jeu. Cette solution rend visible la tragi-comédie qui existe entre les lignes, ce que Tchékhov, désespéremment, n’eût de cesse de voir un jour de son vivant, dans les premières versions scéniques de la pièce. Ici, ce choix de jeu exige une expression au scapel et, à tout le moins, une pensée pénétrante et claire.

Les acteurs ont tous un relief tranchant et splendide.

Minna Puolanto en Arkadina joue bruyante et délicieuse diva bornée. Niina Silanpää décolle et vole presque comme Nina. Son atterrisage aussi, à la fin, est magnifique.

Dans la Mouette, la fille de l’intendant du domaine, Macha, et ce bougre de Medvedenko sont deux personnages qui me sont particulièrement chers. Les voilà, enfin! Amira Khalifa en Macha est au bord de l’éffondrement. Le Medvedenko d’Oskari Perkki fait que tous lui tournent le dos.

Je n’avais jamais vu un Tréplev aussi attachant que celui de Jari Virman. Son interprétation convainc, effraie même. Tréplev en tuant la mouette avec son fusil est un triste jeune homme en colère - reconaissable comme ceux d’aujourd’hui.

Le seul acteur avec un nez rouge sur scène est Iakov, le serviteur. Teemu aroma fait l’avorton avec quelques lignes en étant debout à tout moment, comme un pillier, faisant son possible pour que ses supérieurs restent dans leur demeure malgré les problèmes.

Au quatrième acte, les conflits ouverts s’assèchent jusqu’à l’épuisement, pour apparaître à la fin dans leur expression dénudée la plus épurée. Ce démantelement n’enlève rien au tranchant du travail.

« Peu à peu, moi aussi, j’ai perdu la foi, et toute ma force d’âme est tombée », Nina se confesse lors de sa dernière rencontre avec Tréplev. Une personne ayant perdu la foi peut se comparer à un clown qui aurait perdu la capacité à rire de lui-même.

Avec les clowns, avec ou sans nez rouges, on est traversé par l’amour, ses fêlures, et par les moments d’échecs, d’écroulements de l’être humain, on est traversé par la croyance de pouvoir dire cela.

Dans cette Mouette, c’est l’amour qui nous traverse, cette histoire déjà racontée tellement de fois. Tchékhov disait que sa pièce en contenait cinq pound. Le pound est l’ancienne mesure russe pour déterminer le poids, cela équivaut à 16 kilos. Cinq pound signifie donc 80 kilos. Avec cette mise en scène, vous avez ces 80 kilos. Au moins.

Mars 2015
Mars 2015