Le Bruit du monde m’est rentré dans l’oreille de Elsa Solal

Le Bruit du monde m’est rentré dans l’oreille

Un jour, je rencontre un groupe de personnes. Dans un lieu. Ces personnes souhaitent faire du théâtre. Elles savent que je suis metteur en scène. Nous nous parlons. Beaucoup. Nous apprenons à nous connaître. Cela prend du temps. Nous décidons de nous voir deux fois par semaine : les mardis et les jeudis. Toujours entre 14 et 16 heures. Quand je ne les vois pas, je continue à penser à elles. Je pense à ce qu’elles m’ont dit. Petit à petit, lorsque je suis avec elles, je parle de moins en moins. A la fin, je me tais. J’écoute. Je suis avec elles.

 

Elles s’étaient constituées en collectif après les révoltes d’octobre-novembre 2005. Ce sont des femmes. Maintenant, je fais partie du collectif. Nous sommes ensemble. Ensemble, nous avons préparé et inventé un espace propre à ce que réclame un travail théâtral : le rapport à l’Autre. J’invite ma collaboratrice, Albertine M. Itela, à nous rejoindre. Le lieu de notre rencontre, la Maison des Tilleuls, s’est trouvé changé. Dans une salle du 1er étage, des répétitions ont lieu deux fois par semaine, cela prend de la place. Aussi, cela a une incidence sur moi, sur elles, sur le regard que nous portons sur les choses en sortant des répétitions. Passé la porte du centre social, le parking, les commerces, l’arrêt de bus, les immeubles, les gens, tout cet ensemble me semble différent. Extraordinairement nouveau et familier en même temps. Tout cela agit/interagit et crée une identité urbaine forte. Ces femmes se donnent une rigueur, une discipline, font une opération commando pour s’emparer de l’art du théâtre. Elles décloisonnent la pensée et les imaginaires pour proposer un geste artistique imprégné des réalités intimes, sociales et politiques de leur ville et de leurs vies.

 

Ensemble, nous avons fait un bout de chemin. Nous avons accepté de laisser nos évidences être chahutées. Cette entière disponibilité au présent et à l’art du théâtre nous a donné beaucoup de force. Elles ont fait du théâtre un engagement politique, mais surtout personnel et individuel au nom du vivre ensemble. Du Forum, scène conventionnée de Blanc-Mesnil au Cinéma-Palace du Festival des Libertés à Bruxelles, en passant par le Théâtre du Rond-Point à Paris, elles se sont approprié la scène, et les lieux sans s’imposer à leurs hôtes comme pour mieux les rencontrer. Elles détiennent une souveraineté et une patience propices au dialogue avec les publics. Leur geste artistique est simple. Il est le fruit d’un énorme travail. Comme pour toute personne qui s’aventure sur un plateau afin de donner une « représentation ». Et c’est ainsi qu’elles ont tordu le cou à bien des clichés, stéréotypes et autres idées courtes sur les talents en sommeil dans les quartiers populaires. Ce n’est pas en tant que femmes de quartier qu’elles ont été applaudies mais bien comme les auteurs d’un travail remarquable. « L’important n’est pas ce qu’on fait de nous  mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous ».1

 

 1Jean-Paul Sartre, Saint Genet, comédien et martyr (1952)

 

 

 

Rahma. Il faut combien de générations pour dire légitimement : je suis française… D’origine… Issue de l’immigration… Troisième génération en voie d’intégration… et plus si affinités.

 

Khadija. C’est vrai c’est quoi être français ? Une sorte de diplôme ?

 

Djamila. Un club privé, genre Racing Club de France ?

 

Kahina. Je voudrais vraiment savoir à partir de quand on peut dire : je suis français ?

 

Charlotte. C’est un mystère ça.

 

Rahma. Il faut faire quoi ? Du saut à l’élastique ?

 

Shahinez. Un concours de pétanque ?

 

Ekram. Star Academy ?

 

Aïcha. Miss France ?

 

Toutes. Il faut gagner combien pour être français ?

 

Shahinez. Français… Tu vois… C’est l’esprit des Lumières… Tolérance… Humanité… Philosophie… On a fait la Révolution…

 

Anissa. Tu sais que les femmes n’avaient pas le droit de vote sous ta révolution.

 

Shahinez. Alors « femmes », c’était pas français.

 

Kahina. C’était sans droits, tu piges ? Comme « immigrés » un peu. Pire qu’arabe.

 

Charlotte. Pays de la tolérance ! Toz !

 

Le Bruit du monde m’est rentré dans l’oreille de Elsa Solal

écrit à partir de parole des femmes

du Collectif « Quelques unes d’entre nous », Blanc-Mesnil (Maison des Tilleuls)

Création le 6 mars 2007

au Forum/Blanc-Mesnil

 

 

 

Mise en scène

Philip Boulay

 

Avec

Yamina Amghar, Houria Amrani, Fazia Aouni, Ouriad Belhadi, Juliette Boivineau, Djora Bouayad, Arlette Boudebsa, Taous Boulemsamer, Sabrina Boussekine, Fatiha Damiche, Samia derder, Touria Eladel, Vahide Istambulu, Victoire Kokodoko, Fatma Lamri, Lovely Malinur, Zouina Meddour, Djouraha Ouanoughi, Elisa Ouin, Allégra Owassa, Absa Tall, Farid Taalba,  Marie Rose Valentin, Yasmine Yazid. Et José Martins pour la version lusophone.

 

Collaboration artistique: Albertine M. Itela

 Conseils chorégraphiques: Dalila Belaza

 Travail photographies: Joss Dray

Conception et Coordination du projet, chargée de production: Zouina Meddour

 

Coproduction Maison des Tilleuls, Wor(l)ds..Cie. Avec les soutiens de la Fondation Abbé Pierre, du Conseil Régional d’Ile de France, de l’Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des chances, la Ville de Blanc-Mesnil, Le Forum, scène conventionnée de Blanc-Mesnil.

 

Remerciements Marina Da Silva, Philippe Leroy, Nacera Belaza.

 

Le 20 juin 2007

au Forum Social des Quartiers Populaires/Saint-Denis

 

Le 6 novembre 2007 au Festival des Libertés/Bruxelles (Belgique)

 

le 12 novembre 2007

 à l’Espace Gérard Philipe/Fontenay Sous Bois,

 

le 13 novembre 2007 au Théâtre du Rond-Point,

 Paris (dans le cadre des « Mardis du théâtre»)

 

le 7 décembre 2007 au Festival Tissé Métisse/Nantes (représentation annulée)

 

du 23 au 25 mai 2008 au Teatro Municipal de Almada (Portugal)

 

le 4 octobre 2008

au Forum Social des Quartiers Populaires/Nanterre

 

le 16 avril 2009 aux Rencontres de La Villette/Paris

 

le 24 novembre 2009 au Festival Origines Contrôlées/Toulouse.

 

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