Roberto Zucco
Roberto Zucco
Mettre en scène Roberto Zucco à Kinshasa, c’est faire le portrait, en creux, d’une ville, blessée, meurtrie. Une impression, fausse, que tout est calme, juste avant l’explosion. Le pire rôde et est peut-être à venir.
Mettre en scène Roberto Zucco à Kinshasa, c’est faire coïncider la singularité d’un parcours mythique, celui de Zucco, avec une Afrique urbaine qui, dans l’épopée de son quotidien, lutte contre tout, tout le temps ; dans une course contre la mort, dans un rapport intime et banal avec la mort, chacun ici étant renvoyé quotidiennement à sa grandeur, à ses misères, à sa propre qualification d’être humain, dans toute sa fragilité. Tout y est excès, tout y est démesure, tout y est profondément et simplement humain. Personne n’en est indemne. Et c’est bien vivre ce « vivre », vivre « ça » qui bouleverse.
Ce que veut Zucco, par-delà ses contradictions, c’est quitter un monde qu’il ne distingue plus. Le monde dans lequel évolue Zucco est un monde désamarré, sans référence, sans modèle, un monde virtuel, flottant, dans lequel objectivité et subjectivité sont devenues interchangeables, réversibles. C’est une conscience dissociée qui, en niant le monde ne s’en dissocie plus ; Zucco agit comme un animal qui ne se distingue pas de son semblable qu’il dévore.
Comprendre, c’est adhérer à la raison, être né du père, c’est survivre à la catastrophe de sa naissance en se réfugiant dans le sens ; or, dans le monde de Zucco, comme dans la vie à Kinshasa, il n’y a plus de cause qui engendre des effets, seulement une chaîne d’effets dans un parcours qui court-circuite le sens. Car Zucco fuit la naissance, fuit l’acte de naissance que représente non pas l’acceptation mais la reconnaissance de ce qui est notre « condition d’otage ». Son attitude peut s’éclairer à partir de l’image d’un organisme menacé dans ses défenses. Par son caractère imprévisible, Zucco fonctionne comme un virus, au sein d’un monde où le sens est annulé. L’enchaînement des meurtres en témoigne : une explication chasse l’autre. De ce point de vue, son identification à un agent secret, figure de l’infiltration et non de la révolte, met l’accent non pas sur la transgression d’un code mais sur le disfonctionnement d’un système, dont il est en définitive le produit.
LA SŒUR. – Où est ma colombe ? Dans quelle saleté l’a-t-on entraînée ? Dans quelle cage infâme l’a-t-on enfermée ? De quels animaux pervers et vicieux est-elle entourée ? Je veux te retrouver ma tourterelle, je te chercherai jusqu’à en mourir. (Temps.) Le mâle est l’animal le plus répugnant parmi les animaux répugnants que la terre porte. Il y a une odeur chez le mâle qui me dégoûte. Des rats dans les égoûts, des cochons dans la vase, une odeur d’étang où pourrissent des cadavres. (Temps.) Le mâle est sale, les hommes ne se lavent pas, ils laissent leur saleté et les liquides répugnants de leurs sécrétions s’accumuler sur eux, et ils n’y touchent pas, comme si c’était un bien précieux. Les hommes ne se sentent pas entre eux parce qu’ils ont tous la même odeur. C’est pour cela qu’ils se fréquentent tout le temps, et qu’ils fréquentent les putains, car les putains, pour de l’argent, souffrent cette odeur. Je l’ai tant lavée, cette petite. Tant baignée avant le dîner, et baignée le matin, frotté le dos et les mains à la brosse, et brossé le dessous des ongles, lavée toute entière tous les jours à l’eau chaude et au savon. Je l’ai gardée blanche comme une colombe, j’ai lissé ses plumes comme une tourterelle. Je l’ai protégée et gardée dans une cage toujours propre pour qu’elle ne souille pas sa blancheur immaculée au contact de la saleté de ce monde, de la saleté des mâles, qu’elle ne se laisse pas empester par la peste de l’odeur des mâles. Et son frère, ce rat parmi les rats, ce cochon puant, ce mâle corrompu qui l’a salie et traînée dans la boue et tirée par les cheveux jusqu’à son fumier. J’aurais dû le tuer, j’aurais dû l’empoisonner, j’aurais dû l’empêcher de tourner autour de la cage de ma tourterelle. J’aurais dû mettre des barbelés autour de la cage de mon amour. J’aurais dû écraser ce rat avec le pied et le brûler dans le poêle. (Temps.) Tout est sale, ici. Toute cette ville est sale et peuplée de mâles. Qu’il pleuve, qu’il pleuve encore, que la pluie lave un peu ma petite tourterelle sur le fumier où elle se trouve.
XIII. Ophélie
Roberto Zucco de Bernard Marie-Koltès
Première création nationale en République Démocratique du Congo
Mise en scène
Avec
Avec Nana Boboto, Fabrice Bwabulamutina, Bavon Diana, Joujou Dipesa, Miphy Gialo, Moïse Ilunga, Gisèle Kayembe, Toto Kisaku, Noël Kitenge, Annie Lukayisu, Ornella Mamba, Tshipemba Mouckounay, Ados Ndombasi, Blaise Nzokweno.
Les musiciens Bebson de la Rue et les musiciens Pytshen Kambilo, Dicoco Boketshu, Djanga Weni.
Assistante à la scénographie (Afrique de l'ouest): Astrid Mamina Scénographie et Vidéos: Jean-Christophe Lanquetin
Assistants à la scénographie: Freddy Mutumbo, Ken’s Mukendi et Christian Tundula
Assistant à la mise en scène pour la tournée en Afrique de l’Ouest: Papa Kouyate et ses élèves
Stagiaires à la scénographie (École supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg): Géraldine Trubert, Mélinée Faubert-Charbert, Eulalie Bordès
Lumières et régie générale: Marc Boussac
Assistant à la création lumières: Emmanuel Mafuta et Henri Kisasa
Costumes: Gaby Amundala, Jean-Christophe Lanquetin, Betty Mawete, Vitshois Mwilambwe, Olivier Toloko
Chorégraphie: Fabrice Bwabulamutina
Peintures: Vitshois Mwilamutina Accessoires: Mega Mingedi Régie Lumières (tournée): Stéphane Loirat
Régie son (tournée): Jean-François Domingues
Régie Plateau: Patrick Henrard
Conception affiche et Typographies: Christian Tundula
Attachés de production: Jean-Christophe Boissonnade (France), Jean-Michel Champaut (RDC)
Coproduction Halle de la Gombé/Kinshasa. Avec les soutiens du Conseil Général de la Seine Saint-Denis, du Ministère de la Culture et de la Communication (Direction Régionale des Affaires Culturelles Île de France), de l’Association Française d’Action Artistique (Ministères des Affaire Étrangères en France), du Programme « Afrique en Créations », de l’Organisation Internationale de la Francophonie et du Forum, scène conventionnée de Blanc-mesnil. Avec les concours de l’Ambassade de France à Kinshasa et de Utafika Théâtre.
Remerciements
François Koltès, Papa Kouyate et ses élèves (Ouagadougou), Moussa, Piero (Bandal), Camélia (Continents en fête), Maman Esther pour son hospitalité, Batsu, Patrick Ciercoles Michelle Robert et Alain Monteuil pour toutes leurs interventions auprès des Ministères de l’Intérieur et des Affaires Étrangères, et surtout auprès des Services de la Police Aux Frontières (…), Luc Allade (ambassade de France à Kinshasa).
Halle de la Gombé/Kinshasa du 26 au 30 Août 2004
Centre Culturel Français Georges Mélies « Hors les Murs »/Ouagadougou (Burkina Faso) les 18 et 19 mars 2005
Maison de la Culture Diado Sekou/Niamey (Niger) dans le cadre de « pilotobe(s) » - Festival International de Théâtre Itinérant, le 27 mars 2005
Forum/Blanc-Mesnil du 25 avril au 6 mai 2006 dans le cadre de Francofffonies ! – Festival francophone en France.
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